
La chronique du philosophe #07 : Le RCME Express
Il y a, généralement, peu de mires ouvertes un samedi au petit matin dans la banlieue de Paris. Mais, à cette heure préhistorique de la journée, soixante paupières tentent péniblement d’écarteler l’aube. Point besoin d’horloge : les battements lourds de ces trente paires d’yeux vitreux rythment d’un tic-tac irrégulier l’agonie de la nuit.
Ils tressautent, ces yeux, vrombissent et ronronnent, comme l’autobus qui les porte à la gare du Montparnasse s’évade de la pénombre massicoise. Les badauds pourraient croire, en voyant ce poids lourd escorté d’une dizaine de sirènes de CRS, qu’ils ont là affaire à quelque délégation nationale importante. Presque : les sirènes, croisées par hasard, s’en vont gaiement retrouver leurs désormais habituels partenaires de lutte, tandis que les yeux embués sont ceux des Espoirs massicois s’en allant en terre landaise disputer aux dacquois la possession de la gonfle ovale.
Qu’on imagine alors un wagon de TGV anéanti par la fatigue ; une jambe endormie traîne dans le maigre couloir qui sépare les sièges, une ou deux discussions pâteuses s’échouent lamentablement sur les rives de la somnolence, et quelques filets de bave viennent se perdre sous un col de chemise : aux cahots du rail répondent en harmonie les ronflements des joueurs.
Seulement, dans cet océan de sommeil, un îlot d’activité émerge. Le staff massicois ne baye pas aux corneilles, et les doigts fourmillent et virevoltent sur les claviers d’ordinateurs, et les yeux aux pupilles dilatées sont fixés sur les écrans. De temps à autre, la moitié d’un mot jaillit : on a besoin d’une information, on désire montrer son travail, requérir un avis. C’est une véritable chaudière que les machinistes, préparateur physique, analyste vidéo, kiné, entraîneurs, logisticiens, administratifs, alimentent de leurs efforts pour faire filer le wagon du RCME.
Car c’est bien un train, le RCME, un des derniers exemplaires qui, à l’image de l’Orient Express, prend le temps de s’imprégner du temps, un de ces trains dont le voyage forme réellement la jeunesse. Il lui faut des rails solides, des stations à desservir, et des hommes et femmes pour alimenter ses monstrueuses machines. Aujourd’hui, Dax, demain Béziers, et puis, et puis … Le mouvement est perpétuel, et entraîne dans son sillon, le sang toujours renouvelé d’une jeunesse insouciante.
Tom PHAM VAN SUU