
La chronique du Philosophe #06 : Le navire pour Vannes
C’était un soir de février, dans un port de Bretagne, peu de temps avant le sommeil du soleil, par un temps de brume qui impose à l’homme le secret et le mystère. Au milieu du fracas rouillé qui régnait sur les goélettes à l’accostage, se tenait, discrète et élégante, une corvette d’un temps ancien, sans pavillon, et sans activité apparente.
Cette corvette, baptisée Rose-de-Savannah, avait l’air tranquille d’un bâtiment de commerce qui attend patiemment sa charge. Mais sa lourde et pacifique allure marchande masquait en réalité une essence guerrière et des desseins effrayants. En effet, les canons du pont avaient été malicieusement retirés, cependant que trente caronades avaient remplacé le chargement habituel. Fortement amarrées, la volée appuyée aux écoutilles tamponnées, la corvette cherchait à tromper son monde quant à ses intentions : la Rose-de-Savannah s’était déguisée pour son œuvre du soir : du dehors, on ne pouvait se douter de rien.
On devinait pourtant que ce navire avait à faire quelque chose d’extraordinaire. Trente hommes, en effet, venaient de s’y embarquer à la faveur de la brume et de la nuit tout juste tombée, où ne perçait aucune lune. Ces trente gaillards, pleins de jeunesse et de force, avaient un regard de métal, ce regard que les bagnards revêtent sur le chemin de l’échafaud. Une terrible atmosphère se dégageait de ces hommes-là : on savait, à les voir, que leur mission nécessitait la guerre. Portant, sous leurs cabans, de discrets habits aux rayures bleues et noires, ils disparurent sans bruit dans les entrailles du bâtiment. Puis, le capitaine, d’un bref signe de tête, ordonna qu’on larguât les amarres. Glissant alors comme un fantôme, la corvette s’évanouit dans le brouillard qui faisait résonner le clapotis hypnotisant des vagues.
La scène bien qu’elle fût célère, n’avait pas échappé au vieux Karadoc, renard des mers et ancien officier de la marine royale. Se tournant vers son petit-fils, il dit : « Fais prévenir qui tu sais que le commando de Massy a mis voile pour Vannes. »
Auteur : Tom PHAM VAN SUU