Toute l’actualité

24 Fév 2016

Article l’Equipe.fr – Jeff Dubois – 03/02/2016

février 24, 2016Focus

Dominique ISSARTEL – Publié le Mercredi 3 février 2016 – L’Equipe.fr

Il est devenu entraîneur des lignes arrière de l’équipe de France de rugby à l’issue d’un parcours qu’il n’avait vraiment pas programmé.

Tyrosse, dans les Landes, pas très loin du stade de rugby, une maison vide attend depuis sept ans la famille Dubois, Jeff, Nathalie et leurs trois enfants. Elle risque d’attendre encore, tant la carrière d’entraîneur de Jeff s’est accélérée en juin dernier, avec sa nomination dans le staff de l’équipe de France de rugby, cinq ans seulement après ses débuts de technicien à Massy (Essonne), une équipe de Fédérale. «Pourtant, on ne peut pas dire que j’ai forcé le destin, sourit-il, au contraire ! »
Assis devant un thé, au Café de la Paix, son quartier général à Sceaux, Jean-Frédéric Dubois, les yeux rieurs et le cheveu en vrac, essaie de retracer son drôle de parcours. Il évoque l’époque où il jouait ouvreur, «un poste où on a besoin de s’imposer» : «J’étais un compétiteur et je m’impliquais beaucoup dans le jeu des équipes où j’évoluais. Parfois, je m’emballais…» Au Racing, où il a terminé sa carrière en Pro D 2, en 2009 (*), il lui arrive de se heurter avec le coach de l’époque, l’intransigeant Pierre Berbizier. Ce dernier se souvient :«Jeff avait un fort tempérament qui lui a permis d’optimiser son potentiel de joueur. Son parcours d’entraîneur est logique. Il a franchi tous les niveaux, s’est formé sans faire de bruit.» Bizarrement, l’intéressé semble s’être rendu compte après tous les autres qu’il suivrait cette voie. Sa reconversion, il l’imagine d’abord dans l’immobilier. Titulaire d’un BTS force de vente, il suit une formation chez Foncia en parallèle de sa carrière au Racing. Mais quand celle-ci s’arrête, alors qu’il pensait rempiler une dernière saison avec les Ciel et Blanc, Dubois ressent le manque. «C’est violent de s’arrêter comme ça, quand on ne s’y attend pas.»

Il refuse pourtant plusieurs propositions de clubs de Fédérale, dont celle de Massy. Mais François Guionnet, le président du club, revient à la charge. Pour qu’il entraîne, cette fois. Numéro 2 de l’entreprise Renault, il pressent que Dubois saura faire avancer ses troupes. Pourtant, ce dernier tergiverse… Malgré l’atavisme familial – son père, Gaston, a fondé l’école de rugby de Peyrehorade, ses deux frères aînés sont entraîneurs –, il ne s’est jamais imaginé entraîner, lui aussi. «Finalement, j’ai accepté d’aller au centre de formation, une fois par semaine, parce que je tournais en rond chez moi. Avec mon épouse, on avait décidé de rester à Paris. Un de nos fils avait un souci de santé et cela nous rassurait qu’il soit suivi à l’hôpital Necker. Et puis, c’était la crise de l’immobilier dans les Landes, les agences fermaient les unes après les autres. Sans cet arrêt brutal de ma carrière, sans cette frustration de rugby, je ne crois pas que je serais devenu coach. C’était une démarche de deuil.»

FRANÇOIS GUIONNET : « CE QUI ME RESTERA DE CES TROIS ANNÉES PASSÉES AVEC NOUS, C’EST SON SOURIRE QUAND UNE COMBINAISE ETAIT REUSSIE »

Le nombre de joueurs du Stade Français sélectionnés en équipe de France (Slimani, Flanquart, Durban, Plisson, Danty, Bonneval) qui travaillaient sous ses ordres au club.

Très vite, il anime les séances de trois-quarts de l’équipe première, aux côtés des entraîneurs en place, Morgan Champagne et Victor Didebulidze, un Géorgien en charge des avants. «J’essayais de transmettre les choses que je trouvais essentielles quand je jouais : apprendre à trouver les espaces, faire le bon choix et prendre du plaisir.» Lors d’un déplacement à Tyrosse, alors que l’équipe est menée 30-0 et que Champagne a quitté le vestiaire en disant aux joueurs de se débrouiller, il prend la parole. «Je leur ai demandé de gagner la deuxième mi-temps et d’être fiers.»

Et ça marche plutôt bien. Le soir, malgré la défaite, il emmène tout le monde chez Loustalot, un restaurant à Dax, avant de monter dans le train de nuit. Les relations se créent et, au printemps suivant, alors que son déménagement est en vue à Tyrosse où il a monté une société d’externalisation de la paie avec deux anciens rugbymen (son beau-frère, Jean-Marc Souverbie, et Arnaud Etchegoyen), les joueurs de Massy le supplient de rester. Au conseil d’administration, le manager de l’équipe Fréderic Grossi vote contre – «ce gars-là n’avait qu’une chose en tête : rentrer dans les Landes» – avant de changer d’avis.
Le train est lancé. «Pendant les deux mois de préparation, raconte François Guionnet, il a demandé aux joueurs de ne pas taper un coup de pied. Jeff est réservé mais ce qui me restera de ces trois années passées avec nous, c’est son sourire quand une combinaison était réussie.» L’été suivant, après une élimination en demi-finales, il emmène les joueurs en stage aux fêtes de Dax ! «Je voulais apporter de la joie et voir comment ils se comportaient dans un tel contexte. Les Géorgiens, les Fidjiens ont adoré aller se frotter aux vachettes dans les arènes et le soir, tout le monde m’a suivi sans problème lors de la tournée des bars.»

«Sans un arrêt brutal de ma carrière, sans cette frustration de rugby, je ne crois pas que je serais devenu coach. C’était une démarche de deuil»

VANTÉ POUR SON RELATIONNEL AVEC LES JOUEURS

Entre-temps, en 2011, Jeff Dubois a passé son diplôme d’entraîneur, à Marcoussis, où il se rend trois jours par mois. Il y croise l’Argentin Gonzalo Quesada, son ancien coéquipier (et concurrent au poste d’ouvreur) à Béziers, en 2002, devenu spécialiste du jeu au pied en équipe de France. Il le chambre : «Pas mal pour un étranger d’arriver à entraîner en équipe de France, surtout avec les conseils que tu donnes !» Dubois rigole : «À Béziers, je lui avais demandé quelques trucs, pour les tirs au but ; il avait posé le ballon, tapé dedans en disant : “Tu fais comme ça” et il était parti ! » Ce jour-là, à Marcoussis, Quesada lui explique : «Mais Jeff, si je t’avais montré, tu aurais joué à ma place !»
Deux ans plus tard, en 2013, Massy évolue en Pro D2. Au printemps, Quesada est nommé manager du Stade Français après un passage au Racing, où il a beaucoup entendu parler de Dubois par les joueurs qui l’ont connu (Henry Chavancy, Jonathan Wiesniewski…). Par texto, il lui propose de prendre un café. «Je me demande bien ce qu’il veut », lâche Dubois. Sa femme lui suggère qu’il va sûrement lui faire une proposition. « Ça ne m’avait pas traversé l’esprit. Dans ma tête, je finissais avec Massy et on redescendait à Tyrosse !» Les deux hommes tombent d’accord et, ensemble (avec Simon Raiwalui et Adrien Buononato, entraîneurs des avants), ils emmèneront, en juin dernier, le Stade Français vers son premier titre depuis 2007.

«À son arrivée dans un groupe en manque de confiance, Jeff n’a jamais cessé de nous répéter de ne pas avoir peur, d’oser le jeu, raconte Jules Plisson, l’ouvreur du club parisien.C’est important d’entendre ça, dans le rugby actuel, quand on est jeune.» Partout où il passe, Jean-Frédéric Dubois est vanté pour son relationnel avec les joueurs, pour sa chaleur humaine. «J’espère aussi qu’on me sollicite pour mes qualités de technicien , sourit-il, avant d’ajouter : Je suis surpris que tout soit allé si vite…» Il appréhende un peu la plongée dans le grand bain du Tournoi, cette semaine, avec Guy Novès et Yannick Bru. « L’équipe de France est dans une situation d’urgence, nous avons la contrainte du résultat, alors je me demande si on pourra aller au bout de nos idées. Je pense que oui. On ne peut quand même pas entraîner à contrecœur. Si  » Pas lui en tout cas. S’il devait s’y résoudre, il ne faudrait pas longtemps avant que la maison de Tyrosse soit enfin occupée…

(*) Il a joué demi d’ouverture de 1996 à 2009 à Dax, Béziers, Colomiers, Toulouse et au Racing.